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L’ANCIEN RÉGIME


bance et la joie ne sont guère moindres. Un parlementaire, comme un seigneur, doit se faire honneur de sa fortune ; voyez dans les lettres du président de Brosses la société de Dijon ; elle fait penser à l’abbaye de Thélème ; puis mettez en regard la même ville aujourd’hui[1]. En 1744, à propos de la guérison du roi, M. de Montigny, frère du président de Bourbonne, invite à souper tous les ouvriers, marchands et artisans qu’il emploie, au nombre de quatre-vingts, avec une seconde table pour ses commis, secrétaires, médecins, chirurgiens, procureurs et notaires ; le cortège s’assemble autour d’un char de triomphe couvert de bergères, de bergers et de divinités champêtres en costume d’opéra ; des fontaines laissent couler le vin « comme s’il était de l’eau », et, après le souper, on jette toutes les confitures par les fenêtres. — Autour de celui-ci, chaque parlementaire « a son petit Versailles, un grand hôtel entre cour et jardin. » La ville, silencieuse aujourd’hui, retentit toute la journée du bruit des beaux équipages. La prodigalité des tables est étonnante, « non pas seulement aux jours de gala, mais dans les soupers de chaque semaine, j’ai presque dit de chaque jour ». — Au milieu de tous ces donneurs de fêtes, le plus illustre de tous, le président

  1. Foisset, Le président de Brosses, 65, 69, 70, 346. — Lettres du président de Brosses (Éd. Coulomb), passim. — Piron étant inquiété pour son Ode à Priape, le président Bouhier, « homme de haute et fine érudition et le moins gourmé des doctes », fit venir le jeune homme et lui dit : « Vous êtes un imprudent ; si l’on vous presse trop fort pour savoir l’auteur du délit, vous direz que c’est moi ». (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, VII, 414.)