Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


théâtres de société avec la comtesse de Mirabeau pour première actrice. À Châteauroux, M. Dupin de Francueil entretient « une troupe de musiciens, de laquais, de cuisiniers, de parasites, de chevaux et de chiens, donnant tout à pleines mains, au plaisir et à la bienfaisance, voulant être heureux et que tout le monde le soit autour de lui », sans vouloir compter et jusqu’à se ruiner le plus aimablement du monde. Rien n’étouffe cette gaieté, ni l’âge, ni l’exil, ni le malheur ; en 1793, elle durait encore dans les prisons de la République. — Un homme en place n’est point alors gêné par son habit, raidi par son emploi, obligé de garder l’air important et digne, astreint à cette gravité de commande que l’envie démocratique nous impose comme une rançon. En 1753[1], les parlementaires, qu’on vient d’exiler à Bourges, arrangent trois théâtres de société, jouent la comédie, et l’un d’eux, M. Dupré de Saint-Maur, trop galant, se bat à l’épée contre un rival. En 1787[2], quand tout le Parlement est relégué à Troyes, l’évêque, M. de Barral, revient exprès de son château de Saint-Lye pour le recevoir et préside tous les soirs à un dîner de quarante couverts. « C’étaient, dans toute la ville, des fêtes et des repas sans fin ; les présidents tenaient table ouverte » ; la consommation des traiteurs en fut triplée, et l’on brûla tant de bois dans les cuisines, que la ville fut sur le point d’en manquer. En temps ordinaire, la bom-

  1. Comptes rendus de la Société du Berry (1863-1864).
  2. Histoire de Troyes pendant la Révolution, par Albert Babeau, I, 46.