Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
L’ANCIEN RÉGIME


et à une femme sans se mettre à ses pieds. Le bon ton avait réglé d’avance toutes les grandes et petites démarches, la manière de se déclarer à une dame et de rompre avec elle, d’engager et de conduire un duel, de traiter un égal, un subordonné, un supérieur. Si l’on manquait en quoi que ce fût à ce code universel de l’usage, on était « une espèce ». Tel homme de cœur et de talent, d’Argenson, fut surnommé « la bête », parce que son originalité dépassait le cadre convenu. « Cela n’a pas de nom, cela ne ressemble à rien », tel est le blâme le plus fort. Dans la conduite comme dans la littérature, tout ce qui s’écarte d’un certain modèle est rejeté. Le nombre des actions permises s’est restreint comme le nombre des mots autorisés. Le même goût épuré appauvrit l’initiative en même temps que la langue, et l’on agit comme on écrit, selon des formes apprises, dans un cercle borné. À aucun prix, l’excentrique, l’imprévu, le vif élan spontané ne sont de mise. — Entre vingt exemples qui se pressent, je choisis le moindre, puisqu’il s’agit d’un simple geste : de là on peut conclure aux autres choses. Mlle de …, par le crédit de sa famille, obtient une pension pour Marcel, célèbre maître à danser, accourt chez lui toute joyeuse et lui présente le brevet. Marcel le prend et le jette à terre : « Est-ce ainsi, Mademoiselle, que je vous ai enseigné à présenter quelque chose ? Ramassez ce papier, et rapportez-le-moi comme vous le devez. » Elle reprend le brevet, et le lui présente avec toutes les grâces voulues. « C’est bien, Mademoiselle, dit