Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


celui-ci, poussés à l’extrême, parce qu’il est arrivé au suprême raffinement. — D’abord le naturel en est exclu ; tout y est arrangé, apprêté, le décor, le costume, l’attitude, le son de voix, les paroles, les idées et jusqu’aux sentiments. « La rareté d’un sentiment vrai est si grande, disait M. de V., que, lorsque je reviens de Versailles, je m’arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os[1]. » L’homme, s’étant livré tout entier au monde, n’avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, et les convenances, comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. Il y avait alors, dit une personne qui a subi cette éducation[2], « une manière de marcher, de s’asseoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa fourchette, de présenter un objet, enfin une mimique complète qu’on devait enseigner aux enfants de très bonne heure, afin qu’elle leur devînt par l’habitude une seconde nature, et cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l’ancien beau monde que les acteurs ont peine aujourd’hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée ». — Non seulement le dehors, mais encore le dedans était factice ; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre et de mourir. Impossible de parler à un homme sans se mettre à ses ordres,

  1. Chamfort, 110.
  2. George Sand, V, 59 : « On me reprenait sur tout, et je ne faisais pas un mouvement qui ne fût critiqué. »