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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


auteur de société vient lire sa pièce dans un salon, la mode veut qu’on s’exclame, qu’on sanglote, et qu’il y ait quelque belle évanouie à délacer. Mme de Genlis qui raille ces affectations, n’est pas moins affectée que les autres. Tout d’un coup, au milieu d’une compagnie, on l’entend dire à la jeune orpheline qu’elle exhibe : Paméla, faites Héloïse ! » Et Paméla, défaisant ses cheveux, s’agenouille, les yeux au ciel, d’un air inspiré, aux applaudissements de l’assistance[1]. — La sensibilité devient une institution. La même Mme de Genlis fonde l’ordre de la Persévérance, qui compte bientôt « jusqu’à quatre-vingt-dix chevaliers du plus grand monde ». Pour y être admis, il faut deviner une énigme, répondre à une question morale, faire un discours sur une vertu. Toute dame ou chevalier qui découvre et vient annoncer « trois actions vertueuses bien constatées », reçoit une médaille d’or. Chaque chevalier a son « frère d’armes », chaque dame a son amie, chaque membre a sa devise, et chaque devise, encadrée dans un petit tableau, va figurer dans « le Temple de l’Honneur », sorte de tente très galamment décorée et que M. de Lauzun a fait dresser au milieu d’un jardin[2]. — La parade sentimentale est complète, et, jusque dans cette chevalerie restaurée, on retrouve une mascarade de salon.

Néanmoins la mousse de l’enthousiasme et des grands mots laisse au fond des cœurs un résidu de bonté active, de bienveillance confiante et même de bonheur,

  1. Mme de La Rochejaquelein, Mémoires.
  2. Mme de Genlis, Mémoires, chap. xx. — Duc de Lauzun, 270.