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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


sa charrette. On ne songe plus à se composer et à se contraindre, à garder sa dignité en toute circonstance, à soumettre les faiblesses de la nature aux exigences du rang. À la mort du premier Dauphin[1], pendant que les gens de la chambre se jettent au-devant du roi pour l’empêcher d’entrer, la reine se précipite à genoux contre ses genoux, et il lui crie en pleurant : « Ah ! ma femme, notre cher enfant est mort puisqu’on ne veut pas que je le voie ». Et le narrateur ajoute avec admiration : « Il me semble toujours voir un bon cultivateur et son excellente compagne en proie au plus affreux désespoir de la perte de leur fils chéri ». On ne cache plus ses larmes, on tient à honneur d’être homme ; on est humain, on se familiarise avec ses inférieurs. Un prince, passant une revue, dit aux soldats en leur présentant la princesse : « Mes enfants, voici ma femme ». On voudrait rendre les hommes heureux et jouir délicieusement de leur reconnaissance. Être bon, être aimé, voilà l’objet d’un chef d’État, d’un homme en place. — Cela va si loin qu’on se figure Dieu sur ce modèle. On interprète « les harmonies de la Nature » comme des attentions délicates de la Providence ; en instituant l’amour filial, le Créateur a « daigné nous choisir pour première vertu notre plus doux plaisir[2] ». — À l’idylle qu’on imagine au ciel, correspond l’idylle qu’on pratique sur la terre. Du public aux princes, et

  1. Le Gouvernement de Normandie, par Hippeau, IV, 387 (Lettres du 4 juin 1789, par un témoin oculaire).
  2. Florian, Ruth.


  anc. rég. i.
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