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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/290

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L’ANCIEN RÉGIME


et trop fort. L’organe, appliqué si longtemps sur les minces détails de la vie élégante, n’embrasse plus les grandes masses de la vie populaire, et, dans le milieu nouveau où subitement il est plongé, sa finesse fait son aveuglement.

Il faut agir cependant, car le danger est là qui les prend à la gorge. Mais c’est un danger d’espèce ignoble, et, contre ses prises, leur éducation ne leur fournit pas les armes appropriées. Ils ont appris l’escrime, et non la savate. Ils sont toujours les fils de ceux qui, à Fontenoy, au lieu de tirer les premiers, mettaient le chapeau à la main, et, courtoisement, disaient aux Anglais : « Non, Messieurs, tirez vous-mêmes ». Assujettis aux bienséances, ils sont gênés dans leurs mouvements. Nombre d’actions et des plus nécessaires, toutes celles qui sont brusques, fortes et crues, sont contraires aux égards qu’un homme bien élevé doit aux autres, ou du moins aux égards qu’il se doit à lui-même. — Ils ne se les permettent pas ; ils ne songent pas à se les permettre, et, plus ils sont haut placés, plus ils sont bridés par leur rang. Quand la famille royale part pour Varennes, les retards accumulés qui la perdent sont un effet de l’étiquette. Mme de Tourzel a réclamé sa place dans la voiture, et elle y avait droit, comme gouvernante des Enfants de France. Le roi voulait, en arrivant, donner à M. de Bouillé le bâton de maréchal, et, pour avoir un bâton, il a dû, après diverses allées et venues, emprunter celui du duc de Choiseul. La reine ne pouvait se passer d’un nécessaire de voyage, et il a fallu en fabri-