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L’ANCIEN RÉGIME


dents ressemblaient, d’intention ou de fait, aux gentilshommes que, dans ses contes moraux, Marmontel mettait alors en scène ; car la mode les poussait de ce côté, et toujours en France on suit la mode. Leur caractère n’a rien de féodal ; ce sont des gens « sensibles », doux, très polis, assez lettrés, amateurs de phrases générales, et qui s’émeuvent aisément, vivement, volontiers, comme cet aimable raisonneur le marquis de Ferrières, ancien chevau-léger, député de Saumur à l’Assemblée nationale, auteur d’un écrit sur le Théisme, d’un roman moral, de mémoires bienveillants et sans grande portée ; rien de plus éloigné de l’ancien tempérament âpre et despotique. Ils voudraient bien soulager le peuple, et chez eux ils l’épargnent autant qu’ils peuvent[1]. On les trouve nuisibles sans qu’ils soient méchants ; le mal vient de leur situation, non de leur caractère. En effet, c’est leur situation qui, leur laissant les droits sans les services, leur interdit les offices publics, l’influence utile, le patronage effectif par lesquels ils pourraient justifier leurs avantages et s’attacher leurs paysans.

Mais sur ce terrain le gouvernement central a pris leur place. Depuis longtemps, ils sont bien faibles contre l’intendant, bien impuissants à protéger leur paroisse. Vingt gentilshommes ne peuvent se réunir et délibérer sans une permission expresse du roi[2]. Si ceux de

  1. « La pitié la plus active remplissait les âmes ; ce que craignaient le plus les hommes opulents, c’était de passer pour insensibles. » (Lacretelle, Histoire de France au xviiie siècle, V, 2.)
  2. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, VI, 696. En