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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


Franche-Comté viennent une fois l’an dîner ensemble et entendre une messe, c’est par tolérance, et encore cette innocente confrérie ne doit s’assembler qu’en présence de l’intendant. — Séparé de ses égaux, le seigneur est encore séparé de ses inférieurs. L’administration du village ne le regarde pas, il n’en a pas même la surveillance, répartir l’impôt et le contingent de la milice, réparer l’église, rassembler et présider l’assemblée de la paroisse, faire des routes, établir des ateliers de charité, tout cela est l’affaire de l’intendant ou des officiers communaux que l’intendant nomme ou dirige[1]. Sauf par son droit de justice si écourté, le seigneur est oisif en matière publique[2]. Si, par hasard, il voulait intervenir à titre officieux, réclamer pour la communauté, les bureaux le feraient taire bien vite. Depuis Louis XIV, tout a ployé sous les commis ; toute la législation et toute la pratique administrative ont opéré contre le seigneur local pour lui ôter ses fonctions efficaces et le confiner dans son titre nu. Par cette disjonction des fonctions et du titre, il est devenu d’autant plus fier qu’il devenait moins utile. Son amour-propre, n’ayant plus la grande pâture, se rabat sur la petite ;

    1772, vingt-cinq gentilshommes sont emprisonnés ou exilés pour avoir signé une protestation contre les ordres de la cour.

  1. Tocqueville, ib., 19, 39, 56, 75, 184. Il a développé ce point avec une force et une profondeur admirables.
  2. Tocqueville, ib., 376. Plaintes de l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne. « On se plaint tous les jours qu’il n’y ait aucune police dans les campagnes. Comment y en aurait-il ? Le noble ne se mêle de rien, excepté quelques seigneurs justes et bienfaisants qui profitent de leur ascendant sur leurs vassaux pour prévenir les voies de fait. »