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L’ANCIEN RÉGIME


désormais il recherche les distinctions, non l’influence, et songe à primer, non à gouverner[1]. En effet, le gouvernement local, aux mains de rustres brutalisés par des plumitifs, est devenu une chose roturière, paperassière, et cette chose lui semble sale. « On blesserait son orgueil en l’invitant à s’y livrer. Asseoir les taxes, lever la milice, régler les corvées, actes serviles, œuvres de syndic. » — Il s’abstient donc, reste isolé dans son manoir, laisse à d’autres une besogne dont on l’exclut et qu’il dédaigne. Loin de défendre ses paysans, c’est à peine s’il peut se défendre lui-même, maintenir ses immunités, faire réduire sa capitation et ses vingtièmes, obtenir pour ses domestiques l’exemption de la milice, préserver sa personne, sa demeure, ses gens, sa chasse et sa pêche de l’usurpation universelle qui met aux mains de « Monseigneur l’intendant » et de MM. les subdélégués tous les biens et tous les droits. — D’autant plus que bien souvent il est pauvre. Bouillé estime que toutes les vieilles familles, sauf deux ou trois cents, sont ruinées[2]. Dans le Rouergue, plusieurs vivent sur un revenu de cinquante et même de vingt-cinq louis.

  1. Cahiers des États généraux de 1789. Quantité de cahiers de la noblesse demandent pour les nobles, hommes et femmes, une marque distinctive honorifique, par exemple une croix ou un cordon qui les fasse reconnaître.
  2. Bouillé, Mémoires, 50. — Tocqueville, ibid., 118, 119. — Loménie, les Mirabeau, 152. (Lettre du bailli de Mirabeau, 1760.) Chateaubriand, Mémoires, I, 14, 15, 29, 76, 80, 125. — Lucas de Montigny, Mémoires de Mirabeau, I, 160. — Comptes rendus de la société du Berry. Bourges en 1753 et 1754, d’après un journal à la main (aux Archives nationales), écrit par un des parlementaires exilés, 273.