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LE RÉGIME MODERNE


doit espacer les points de suture, ne pas forcer les rapprochements, préparer de loin l’accolement final, attendre les effets graduels et lents du travail vital et de la réparation spontanée. Surtout il ne faut pas qu’il alarme son malade. Le Premier Consul s’en garde bien ; au contraire, toutes ses paroles sont rassurantes. Que le patient se tranquillise : on ne lui recoudra rien, on ne touchera pas à sa plaie. Solennellement[1], la Constitution déclare que le peuple français ne souffrira jamais le retour des émigrés, et, sur cet article, elle lie d’avance les mains des futurs législateurs : il leur est interdit d’ajouter aux anciennes exceptions aucune exception nouvelle. — Mais d’abord, en vertu de la même Constitution, tout Français non émigré ou non déporté a le droit de voter, d’être élu, d’exercer toute espèce de fonction publique ; en conséquence, douze jours plus tard[2], un simple arrêté du Conseil d’État restitue les droits civiques et politiques aux ci-devant nobles et anoblis, aux alliés et parents des émigrés, à tous ceux qu’on appelait les émigrés de l’intérieur et que l’intolérance jacobine avait exclus, sinon du territoire, du moins de la cité ; voilà déjà deux ou trois cent mille Français qui rentrent dans la cité, sinon sur le territoire. — Ils avaient été frappés par le coup d’État de Fructidor ; natu-

  1. Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), article 93 : « La nation française déclare qu’en aucun cas elle ne souffrira le retour des Français qui, ayant abandonné leur patrie depuis le 14 juillet 1789, ne sont pas compris dans les exceptions portées aux lois rendues contre les émigrés. Elle interdit toute exception nouvelle à cet égard. »
  2. Avis du Conseil d’État, 25 décembre 1799.