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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


celui-là ne voulait pas ou ne pouvait pas se ranger ; la régularité, la médiocrité, la certitude même de l’avancement lui déplaisaient ; il abandonnait à son frère aîné, au gendre ou au neveu docile, le domaine héréditaire ou la charge acquise ; par suite, le domaine ou la charge restait dans la famille : pour lui, il en sortait ; les perspectives illimitées le tentaient et il s’en allait hors de France. Au XVIIIe siècle, dit Voltaire[1], « on trouvait des Français partout », en Allemagne, en Russie, aux Indes, dans l’Amérique du Sud, au Canada, à la Louisiane, chirurgiens, maîtres d’escrime ou d’équitation, officiers, ingénieurs, aventuriers surtout et même flibustiers, trappeurs et coureurs de bois, les plus souples, les plus sympathiques, les plus téméraires des colons et des civilisateurs, seuls capables de s’assimiler les indigènes en s’assimilant à eux, en adoptant leurs mœurs et en épousant leurs femmes, de mêler les sangs, de faire des races intermédiaires et neuves, comme ce Dumas de la Pailleterie, dont la descendance fournit, depuis trois générations, des hommes originaux et supérieurs, comme ces métis du Canada par lesquels la race aborigène parvient à se transformer et à se survivre. Les premiers, ils avaient exploré les grands lacs, descendu le Mississipi jusqu’à l’embouchure, fondé un empire colonial avec Champlain et Lassalle dans l’Amérique du Nord, avec Dupleix et La Bourdonnais dans l’Indoustan. Tel était le débouché des esprits immodérés et hasardeux, des tempéraments rétifs à la contrainte et à la routine

  1. Candide (Récit de la Vieille).