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LE RÉGIME MODERNE


pire, surtout vers 1808 et 1809, la figure idéale se gâte encore davantage : désormais, ce qui la constitue, c’est l’officier arrivé ou l’officier d’avenir, avec son grade et les appendices de son grade, avec son uniforme doré et brodé, avec ses croix, avec l’autorité sur tant de centaines ou milliers d’hommes et tel chiffre notable d’appointements fixes, outre les gratifications qu’il obtiendra du maître et les profits qu’il peut faire sur les vaincus[1]. Il ne s’agit plus que d’avancer vite, et par toutes les voies, belles ou laides, d’abord et bien entendu par la grande voie, c’est-à-dire en risquant sa vie, en se dépensant sans compter, mais aussi par un nouveau chemin, en affectant du zèle, en pratiquant et en professant l’obéissance aveugle, en abdiquant toute pensée politique, en se dévouant, non plus à la France, mais au souverain : la camaraderie affectueuse fait place à l’âpre émulation : sous l’attente des promotions, les amitiés militaires se refroidissent. Quand la mort produit une vacance, c’est au bénéfice des survivants, et ils le savent. À Talavera, dit Stendhal, « deux officiers étaient ensemble à leur batterie ; un boulet arrive, qui renverse le capitaine. — Bon, dit le lieutenant, voilà François tué, c’est moi qui serai capitaine. — Pas encore, dit François, qui n’était qu’étourdi et qui se relève. — Ces deux hommes n’étaient point

  1. Ce dernier type a été vu de très près, et très bien peint par Balzac, notamment dans Un Ménage de garçon. — Autres figures de soudards dans Mérimée (les Mécontents et les Espagnols en Danemark), dans Stendhal (le Chasseur vert) — J’en ai connu cinq ou six dans ma jeunesse.