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LE RÉGIME MODERNE


« meilleur emplacement pour une usine à établir, pour un port ou une digue à construire[1] ». Aux difficultés dans lesquelles s’embrouillaient les meilleures têtes du pays, aux questions controversées qui semblaient insolubles, il apporte du premier coup la solution pratique et unique ; elle était là, sous la main, et les membres du conseil local ne l’avaient pas vue ; il la leur fait toucher du doigt. Devant cette compétence universelle et ce merveilleux génie, ils restent confondus, béants. — « C’est plus qu’un homme, disaient à Beugnot les administrateurs de Dusseldorf[2]. — Oui, répond Beugnot, c’est un diable. » — En effet, à l’ascendant de l’esprit il ajoute l’ascendant de la force ; toujours, à travers le grand homme, on aperçoit en lui le dominateur foudroyant : l’admiration commence ou s’achève par la peur : toute l’âme est subjuguée ; sous son regard, l’enthousiasme et la servilité se confondent en un sentiment unique d’obéissance passionnée et de soumission sans réserve[3]. Volontairement et involontairement, par conviction et avec tremblement, les hommes fascinés abdiquent à son profit leur libre arbitre. — Et l’impression magique subsiste en eux après qu’il est

  1. Faber, ib., 127. — Cf. Charlotte de Sohr, Napoléon en 1811 (détails et anecdotes sur le voyage de Napoléon en Belgique et en Hollande).
  2. Beugnot, Mémoires, I, 380, 384 : « Il accabla sous l’admiration les bons Allemands, qui ne devinaient pas comment leurs intérêts lui étaient devenus si familiers et avec quelle supériorité il les traitait. »
  3. Beugnot, ib., I, 395. Partout, sur le passage de l’Empereur (1811), d’impression qu’on éprouvait était « l’espèce de saisissement qu’impose l’apparition d’une merveille ».