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LE DÉFAUT ET LES EFFETS DU SYSTÈME


complice de la faction régnante, administrer au profit des uns et au détriment des autres, introduire, comme un poids prépondérant, dans toutes les pesées de sa balance, la considération des personnes et des opinions. — Du même coup, tout le personnel administratif sur lequel il a la main ou les yeux se détériore ; chaque année, sur la recommandation d’un sénateur ou d’un député, il y introduit ou il y voit entrer des intrus dont les services antérieurs sont nuls, de capacité mince et d’honorabilité insuffisante, qui travaillent mal ou peu, et qui, pour s’ancrer dans leur poste ou monter en grade, comptent, non sur leurs mérites, mais sur leurs patrons. Les autres, fonctionnaires compétents et réguliers de l’ancienne école, pauvres gens pour qui la carrière est barrée, se dégoûtent et s’aplatissent ; ils ne sont plus même sûrs de conserver leur emploi ; s’ils y sont maintenus, c’est que, pour expédier les affaires courantes, on ne saurait se passer d’eux ; mais, demain peut-être, on cessera de les croire indispensables ; sur une dénonciation politique, ou pour placer un favori politique, on les mettra, par anticipation, à la retraite. Désormais ils ont deux puissances à ménager, l’une légitime et naturelle, l’autorité de leurs chefs administratifs, l’autre illégitime et parasite, l’influence démocratique d’en haut et d’en bas ; pour eux, comme pour le préfet, l’intérêt public descend au second rang, et l’intérêt électoral monte au premier ; chez eux et chez lui, le respect de soi-même, l’honneur professionnel, la conscience d’un devoir à remplir, la fidélité réciproque,