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L’ÉCOLE


forme dont l’autorité publique fournira le modèle, voilà ce qu’il faut mettre sur le dos de tout enfant, adolescent ou jeune homme ; et les particuliers qui se chargent de cette besogne sont suspects d’avance. Même obéissants, ils ne sont dociles qu’à demi, ils ont leur initiative et leurs préférences, ils suivent leur goût propre ou celui des parents. Toute entreprise privée, par cela seul qu’elle existe et florit, est un groupe plus ou moins indépendant et dissident. Napoléon, apprenant qu’à Sainte-Barbe, restaurée et dirigée par M. de Lanneau, il y a 500 élèves, s’écrie[1] : « Comment se fait-il qu’un simple particulier ait tant de monde dans sa maison ? » L’empereur semble presque jaloux ; on dirait que, dans un coin de son domaine universitaire, il vient de se découvrir un rival ; cet homme usurpe sur lui, sur le domaine du souverain ; il s’est fait centre, il rassemble autour de lui une clientèle et un peloton ; or, comme l’a dit Louis XIV, il ne faut pas qu’il y ait dans l’État « des pelotons à part ». Puisque M. de Lanneau a du talent et du succès, qu’il entre dans les cadres officiels et qu’il devienne fonctionnaire. Tout de suite Napoléon songe à l’acquérir, lui, sa maison et ses élèves, et charge le grand maître de l’Université, M. de Fontanes, de négocier l’affaire ; on payera à M. de Lanneau l’indemnité convenable, Sainte-Barbe sera érigée en lycée, et M. de Lanneau en sera nommé proviseur. Notez qu’il n’est pas un opposant, un irrégulier : M. de Fontanes lui-même loue son enseignement, son bon esprit, sa correction

  1. Quicherat, Histoire de Sainte-Barbe, III, 125.