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LE RÉGIME MODERNE


sion ou qui servent dans les professions, voisines, sont là, classées dans leur tête, prêtes à sortir au premier appel, et, comme l’examen va le prouver, disponibles à la minute : ils les possèdent, mais rien d’autre ni de plus. Leur éducation a versé tout entière d’un seul côté : ils n’ont point fait d’apprentissage pratique. Jamais ils n’ont pris une part active et mis la main, en qualité de collaborateurs ou d’aides, à une œuvre de leur profession. À vingt-quatre ans, le futur professeur, agrégé nouveau, qui sort de l’École Normale, n’a pas encore fait une classe, sauf pendant quinze jours dans un lycée de Paris. À vingt-quatre ou vingt-cinq ans, le futur, ingénieur, qui sort breveté de l’École Centrale, de l’École des Ponts ou des Mines n’a jamais coopéré à l’exploitation d’une mine, à la chauffe d’un haut fourneau, au percement d’un tunnel, à l’établissement d’une digue, d’un pont ou d’une chaussée : il ignore les prix de revient et n’a jamais commandé une équipe. Si le futur avocat ou magistrat ne s’est pas résigné à l’office de clerc dans une étude de notaire ou d’avoué, à vingt-cinq ans, même docteur en droit avec trois boules blanches, il ignore les affaires, il ne sait que ses codes, il n’a jamais dépouillé un dossier, conduit une procédure, dressé une liquidation, rédigé un acte. De dix-huit à trente ans, le futur architecte, qui concourt pour le prix de Rome, peut rester à l’École des Beaux-arts, y rendre projets sur projets, puis, s’il a le prix, passer cinq ans à Rome, y dessiner à outrance, multiplier sur le papier les plans et les restaurations,