Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
351
L’ÉCOLE


nombreuses et trop lourdes, glissent incessamment hors de leur esprit, et ils n’en font pas de nouvelles. Leur vigueur mentale a fléchi ; la sève féconde est tarie ; l’homme fait apparaît, et souvent c’est l’homme fini. Celui-ci, rangé, marié ; résigné à tourner en cercle et indéfiniment dans le même cercle, se cantonne dans son office restreint ; il le remplit correctement, rien au delà. Tel est le rendement moyen ; certainement la recette n’équilibre pas la dépense. En Angleterre et en Amérique, où, comme jadis avant 1789 en France, on emploie le procédé inverse[1], le rendement obtenu est égal ou supérieur, et on l’obtient plus aisément, plus certainement,

  1. Souvenirs inédits, par le chancelier Pasquier. Quoique l’admission aux écoles préparatoires fût très précoce, « nos officiers de marine, du génie et d’artillerie passaient justement pour les plus instruits de l’Europe, aussi habiles dans la pratique que dans la théorie ; la place que les officiers d’artillerie et du génie ont tenue dès 1792 dans l’armée française a suffisamment prouvé cette vérité. Et cependant ils ne savaient pas la dixième partie de ce que savent aujourd’hui ceux qui sortent seulement des écoles préparatoires. Vauban lui-même n’eût pas été en état de subir l’examen d’entrée à l’École Polytechnique. » Il y a donc dans notre système « un luxe de science, fort beau en lui-même, mais qui n’est nullement nécessaire pour assurer le bon service de l’armée de terre ni de mer ». — De même dans les carrières civiles, barreau, magistrature, administration, et même dans les lettres ou les sciences. La preuve est dans le grand nombre des talents qui, dès 1789, se signalèrent à la Constituante. Dans l’Université naissante, on ne demandait pas la moitié des connaissances qu’on exige aujourd’hui ; rien de semblable à notre baccalauréat si chargé, et cependant il en est sorti Villemain, Cousin, Hugo, Lamartine, etc. Jadis point d’École Polytechnique ; pourtant l’on vit à la fin du XVIIIe siècle en France la plus riche constellation de savants, Lagrange, Laplace, Monge, Fourcroy, Lavoisier, Berthollet, Haüy, etc. (Depuis la date de cet écrit, le défaut du système français s’est beaucoup aggravé.)