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LE RÉGIME MODERNE


civils qui lui manquaient et dont il avait toujours trop peu, parce qu’il en faisait une consommation très grande : à ce but précis et défini, il rapportait et subordonnait le reste, y compris la théorie de l’État enseignant ; elle n’était pour lui qu’un résumé, une formule et un décor. Au contraire, pour les vieux jacobins, elle était un axiome, un principe, un article du Contrat social ; par ce contrat, l’État était chargé de l’éducation publique ; il avait le droit et le devoir de l’entreprendre et de la conduire. Cela posé, en théoriciens convaincus et par le procédé aveuglément déductif, ils tiraient les conséquences et se lançaient, les yeux clos, dans la pratique, avec autant de précipitation que de raideur, sans se préoccuper des matériaux humains, du milieu réel, des ressources disponibles, des effets collatéraux, de l’effet total et final. De même, aujourd’hui, les jacobins nouveaux : selon eux, puisque l’instruction est bonne[1], elle sera d’autant meilleure qu’elle sera plus étendue et plus approfondie ; puisque l’instruction étendue et approfondie est très bonne, l’État doit, de toute sa force, et par tous les moyens, l’inculquer au plus grand nombre possible d’enfants, d’adolescents et

  1. L’instruction est bonne, non pas en soi, mais par le bien qu’elle fait, notamment à ceux qui la possèdent ou l’acquièrent. Si un homme, en levant le doigt, pouvait mettre tous les Français et toutes les Françaises en état de lire couramment Virgile et de bien démontrer le binôme de Newton, cet homme serait dangereux, et on devrait lui lier les mains ; car, si par mégarde il levait le doigt, le travail manuel répugnerait à tous ceux qui le font aujourd’hui, et, au bout d’un an ou deux, deviendrait presque impossible en France.