Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
L’ANCIEN RÉGIME


érige en théorie, qui, sous le nom d’Idéologie, aura bientôt l’ascendant d’un dogme, et qui semble alors résumer toute méthode. À tout le moins, elle résume le procédé par lequel les philosophes du siècle ont gagné leur public, propagé leur doctrine et conquis leur succès.

III

Grâce à cette méthode on est compris ; mais, pour être lu, il faut encore autre chose. Je compare le dix-huitième siècle à une société de gens qui sont à table ; il ne suffit pas que l’aliment soit devant eux, préparé, présenté, aisé à saisir et à digérer ; il faut encore qu’il soit un mets, ou mieux une friandise. L’esprit est un gourmet ; servons-lui des plats savoureux, délicats, accommodés à son goût ; il mangera d’autant plus que la sensualité aiguisera l’appétit. Deux condiments particuliers entrent dans la cuisine du siècle, et, selon la main qui les emploie, fournissent à tous les mets littéraires un assaisonnement gros ou fin. — Dans une société épicurienne à qui l’on prêche le retour à la nature et les droits de l’instinct, les images et les idées voluptueuses s’offrent d’elles-mêmes ; c’est la boîte aux épices appétissantes et irritantes. Chacun alors en use et en abuse ; plusieurs la vident tout entière sur leur plat. Et je ne parle pas seulement de la littérature secrète, des livres extraordinaires que lit Mme d’Andlau, gouvernante des enfants de France et qui s’égarent aux