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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« jusqu’où on doit aller ; on bannira tous prêtres, tout sacerdoce, toute révélation, tout mystère… » — « On n’ose plus parler pour le clergé dans les bonnes compagnies ; on est honni et regardé comme des familiers de l’inquisition… Les prêtres ont remarqué cette année une diminution de plus d’un tiers dans le nombre de leurs communiants. Le collège des jésuites devient désert ; cent vingt pensionnaires ont été retirés à ces moines si tarés… On a observé aussi pendant le carnaval de Paris que jamais on n’avait vu tant de masques au bal contrefaisant les habits ecclésiastiques, en évêques, abbés, moines, religieuses. » — L’antipathie est si grande, que les plus médiocres livres font fureur dès qu’ils sont antichrétiens et condamnés comme tels. En 1748, un ouvrage de Toussaint en faveur de la religion naturelle, les Mœurs, devient tout d’un coup si célèbre, « qu’il n’y a personne dans un certain monde, dit Barbier, homme ou femme se piquant d’esprit, qui ne veuille le voir. On s’aborde aux promenades en se disant : Avez-vous lu les Mœurs ? » Dix ans plus tard on a dépassé le déisme. « Le matérialisme, dit encore Barbier, c’est le grand grief… » — Presque tous les gens d’étude et de bel esprit, écrit d’Argenson, se déchaînent contre notre sainte religion… Elle est secouée de toutes parts, et, ce qui anime davantage les incrédules, ce sont les efforts que font les dévots pour obliger à croire. Ils font des livres qu’on ne lit guères ; on ne dispute plus, on se rit de tout, et l’on persiste dans le matérialisme. »