Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
L’ANCIEN RÉGIME


Horace Walpole[1], qui en 1765 revient en France et dont le bon sens prévoit le danger, s’étonne de tant d’imprudence : « J’ai dîné aujourd’hui, dit-il, avec une douzaine de savants ; quoique tous les domestiques fussent là pour nous servir, la conversation a été beaucoup plus libre, même sur l’Ancien Testament, que je ne le souffrirais à ma propre table en Angleterre, n’y eût-il pour l’écouter qu’un valet de pied. » On dogmatise partout. « Le rire est aussi démodé que les pantins ou le bilboquet. Nos bonnes gens n’ont plus le temps d’être gais, ils ont trop à faire ; il faut d’abord qu’ils mettent par terre Dieu et le roi ; tous et chacun, hommes et femmes, s’emploient en conscience à la démolition. À leurs yeux je suis un infidèle, parce que j’ai encore quelques croyances debout. » — « Savez-vous ce que sont les philosophes et ce que ce mot signifie ici ? D’abord il comprend presque tout le monde ; ensuite il désigne les gens qui se déclarent ennemis du papisme, mais qui, pour la plupart, ont pour objet le renversement de toute religion. » — « Ces savants, je leur demande pardon, ces philosophes sont insupportables, superficiels, arrogants et fanatiques. Ils prêchent incessamment, vous ne sauriez croire avec quelle liberté, et leur doctrine avouée est l’athéisme… Voltaire lui-même ne les satisfait plus ; une de leurs dames prosélytes me disait de lui : il est bigot, c’est un déiste. »

  1. Horace Walpole, Letters and correspondance. 27 septembre 1765, 18 et 28 octobre, 19 novembre 1766.