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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« heurs, des excès, des crimes, des renversements de trônes et de principes, nous ne voyions dans l’avenir que tous les biens qui pouvaient être assurés à l’humanité par le règne de la raison. On laissait un libre cours à tous les écrits réformateurs, à tous les projets d’innovation, aux pensées les plus libérales, aux systèmes les plus hardis. Chacun croyait marcher à la perfection, sans s’embarrasser des obstacles et sans les craindre. Nous étions fiers d’être Français et encore plus d’être Français du dix-huitième siècle… Jamais réveil plus terrible ne fut précédé par un sommeil plus doux et par des songes plus séduisants ».

Ils ne s’en tiennent pas à des songes, à de purs souhaits, à des espérances passives. Ils agissent, ils sont vraiment généreux ; il suffit qu’une cause soit belle pour que leur dévouement lui soit acquis. À la nouvelle de l’insurrection américaine, le marquis de la Fayette, laissant sa jeune femme enceinte, s’échappe, brave les défenses de la cour, achète une frégate, traverse l’Océan et vient se battre aux côtés de Washington. « Dès que je connus la querelle, dit-il, mon cœur fut enrôlé et je ne songeai plus qu’à rejoindre mes drapeaux. » Quantité de gentilshommes le suivent. Sans doute ils aiment le danger ; « une probabilité d’avoir des coups de fusil est trop précieuse pour qu’on la néglige[1]. » Mais il s’agit en outre d’affranchir des opprimés ; « c’est comme paladins, dit l’un d’eux, que nous nous montrions phi-

  1. Duc de Lauzun, 80 (à propos de son expédition en Corse).