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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


qu’on exerçait, de la corporation dans laquelle on était compris, de la ville où l’on était né et tout au plus de la province où l’on habitait[1]. La disette des idées et la modestie du cœur confinaient le bourgeois dans son enclos héréditaire. Ses yeux ne se hasardaient guère au delà, dans le territoire interdit et dangereux des choses d’État ; à peine s’il y coulait un regard furtif et rare ; les affaires publiques étaient « les affaires du roi ». — Point de fronde alors, sauf dans le barreau, satellite obligé du Parlement et entraîné dans son orbite. En 1718, après un lit de justice, les avocats de Paris s’étant mis en grève, le régent s’écriait avec colère et surprise : « Quoi ! ces drôles-là s’en mêlent aussi[2] ! » Encore faut-il remarquer que, le plus souvent, beaucoup d’entre eux se tenaient cois. « Mon père et moi, écrit plus tard l’avocat Barbier, nous ne nous sommes pas mêlés dans ces tapages, parmi ces esprits caustiques et turbulents. » — Et il ajoute cette profession de foi significative : « Je crois qu’il faut faire son emploi avec honneur, sans se mêler d’affaires d’État sur lesquelles on n’a ni pouvoir ni mission. » — Dans toute la première moitié du dix-huitième siècle, je ne vois dans le Tiers-état que ce seul foyer d’opposition, le Parlement et, autour de lui, pour attiser le feu, le vieil esprit gallican ou janséniste. « La bonne ville de Paris, écrit Barbier en 1733,

  1. J’ai pu moi-même constater ces sentiments par les récits de vieillards morts il y a vingt ans. — Cf. Les Mémoires manuscrits du libraire Hardy (analysés par Aubertin) et les Voyages d’Arthur Young.
  2. Aubertin. Ib., 180, 362.