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L’ANCIEN RÉGIME


miers mots que l’on emploie pour louer un homme est de dire « qu’il se présente parfaitement bien ». La maréchale de Luxembourg, si fière, choisit toujours Laharpe pour cavalier ; en effet, « il donne si bien le bras ! » — Non seulement le plébéien entre au salon s’il a de l’usage, mais il y trône s’il a du talent. La première place dans la conversation et même dans la considération publique est pour Voltaire, fils d’un notaire, pour Diderot, fils d’un coutelier, pour Rousseau, fils d’un horloger, pour d’Alembert, enfant-trouvé recueilli par un vitrier ; et quand, après la mort des grands hommes, il n’y a plus que des écrivains de second ordre, les premières duchesses sont encore contentes d’avoir à leur table Chamfort, autre enfant-trouvé, Beaumarchais, autre fils d’horloger, Laharpe, nourri et élevé par charité, Marmontel, fils d’un tailleur de village, quantité d’autres moins notables, bref tous les parvenus de l’esprit.

Pour s’achever, la noblesse leur emprunte leur plume et aspire à leurs succès. « On est revenu, disait le prince de Hénin, de ces préjugés gothiques et absurdes sur la culture des lettres[1]. Quant à moi, j’écrirais demain une comédie si j’en avais le talent, et, si l’on me mettait un peu en colère, je la jouerais. » Et, de fait, « le vicomte de Ségur, fils du ministre de la guerre, joue le rôle d’amant dans Nina sur le théâtre de Mlle Guimard, avec tous les acteurs de la comédie italienne[2] ». Un personnage de Mme de Genlis, revenant à Paris après cinq

  1. Comte de Tilly. Mémoires, I, 31.
  2. Geffroy, Gustave III. Lettre de Mme de Staël (août 1786).