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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


ans d’absence, dit « qu’il a laissé les hommes uniquement occupés de jeu, de chasse, de leurs petites maisons, et qu’il les retrouve tous auteurs[1] ». Ils colportent de salon en salon leurs tragédies, comédies, romans, églogues, dissertations et considérations de toute espèce. Ils tâchent de faire représenter leurs pièces, ils subissent le jugement préalable des comédiens, ils sollicitent un mot d’éloge au Mercure, ils lisent des fables aux séances de l’Académie. Ils s’engagent dans les tracasseries, dans les glorioles, dans les petitesses de la vie littéraire, bien pis, de la vie théâtrale, puisque, sur cent théâtres de société, ils sont acteurs et jouent avec les vrais acteurs. Ajoutez à cela, si vous voulez, leurs autres petits talents d’amateurs : peindre à la gouache, faire des chansons, jouer de la flûte. — Après ce mélange des classes et ce déplacement des rôles, quelle supériorité reste à la noblesse ? Par quel mérite spécial, par quelle capacité reconnue se fera-t-elle respecter du Tiers ? Hors une fleur de suprême bon ton et quelques raffinements dans le savoir-vivre, en quoi diffère-t-elle de lui ? Quelle éducation supérieure, quelle habitude des affaires, quelle expérience du gouvernement, quelle instruction politique, quel ascendant local, quelle autorité morale peut-elle alléguer pour autoriser ses prétentions à la première place ? — En fait de pratiques, c’est déjà le Tiers qui fait

  1. Mme de Genlis, Adèle et Théodore (1782), I, 312. — Déjà en 1762, Bachaumont cite un grand nombre de pièces écrites par des grands seigneurs : Clytemnestre, par le comte de Lauraguais ; Alexandre, par le chevalier de Fénelon ; Don Carlos, par le marquis de Ximénès.


  anc. rég. ii.
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