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LE PEUPLE


souvent impraticables, il est clair que, dans les cantons écartés, dans les mauvais sols qui rendent à peine trois fois la semence, il n’y a pas toujours de quoi manger. Comment vivre jusqu’à la prochaine récolte ? Telle est la préoccupation constante avant et pendant la Révolution. Dans les correspondances manuscrites, je vois les syndics et maires de village estimer la quantité des subsistances locales, tant de boisseaux dans les greniers, tant de gerbes dans les granges, tant de bouches à nourrir, tant de jours jusqu’aux blés d’août, et conclure qu’il s’en faut de deux, trois, quatre mois pour que l’approvisionnement suffise. — Un pareil état des communications et de l’agriculture condamne un pays aux disettes périodiques, et j’ose dire qu’à côté de la petite vérole qui, sur huit morts, en cause une, on trouve alors une maladie endémique aussi régnante, aussi meurtrière, qui est la faim.

On se doute bien que c’est le peuple, et surtout le paysan qui en pâtit. Sitôt que le prix du pain hausse, il n’y peut plus atteindre, et même sans hausse il n’y atteint qu’avec peine. Le pain de froment coûte comme aujourd’hui de trois à quatre sous la livre[1], mais la moyenne d’une journée d’homme n’est que de dix-neuf sous au lieu de quarante, en sorte qu’avec le même travail, au lieu d’un pain, le journalier ne peut acheter que la moitié d’un pain[2]. Tout calculé, et les salaires

  1. Cf. Galiani, Dialogues sur le commerce des blés (1770), 193. Le pain de froment coûte alors quatre sous la livre.
  2. Arthur Young, II, 200, 201, 260 à 265. — Théron de Montaugé, 59, 68, 75, 79, 81, 84.