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L’ANCIEN RÉGIME


étant ramenés au prix du grain, on trouve que le travail annuel exécuté par l’ouvrier rural pouvait alors lui procurer neuf cent cinquante-neuf litres de blé, aujourd’hui dix-huit cent cinquante et un ; ainsi, son bien-être s’est accru de 95 pour 100. Celui d’un maître valet s’est accru de 70 pour 100 ; celui d’un vigneron de 125 pour 100. Cela suffit pour montrer quel était alors leur malaise. — Et ce malaise est propre à la France. Par des observations et des calculs analogues, Arthur Young arrive à montrer qu’en France « ceux qui vivent du travail des champs, et ce sont les plus nombreux, sont de 76 pour 100 moins à leur aise qu’en Angleterre, de 76 pour 100 plus mal nourris, plus mal vêtus, plus mal traités en santé et en maladie ». — Aussi bien, dans les sept huitièmes du royaume, il n’y a pas de fermiers, mais des métayers. Le paysan est trop pauvre pour devenir entrepreneur de culture ; il n’a point de capital agricole[1]. « Le propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux qui n’ont que leurs bras ; il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, bestiaux, instruments et semences, d’avancer même à ce métayer de quoi le nourrir jusqu’à la première récolte. » — « À Vatan, par exemple, dans le Berry, presque tous les ans les métayers empruntent du pain au propriétaire, afin de pouvoir attendre la moisson. » — « Il est très rare d’en trouver qui ne s’endettent pas envers leur maître d’au moins cent livres par an. »

  1. Éphémérides du citoyen, VI, 81 à 94 (1767), et IX, 90 (1767).