Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LE PEUPLE


Plusieurs fois, celui-ci leur propose de leur laisser toute la récolte, à condition qu’ils ne lui demanderont rien de toute l’année ; « ces misérables » ont refusé ; livrés à eux seuls, ils ne seraient pas sûrs de vivre. — En Limousin et en Angoumois, leur pauvreté est telle[1], « qu’ils n’ont pas, déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de vingt-cinq à trente livres à dépenser par an et par personne, je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté. Souvent ils ont moins, et, lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer… Le métayer est toujours réduit à ce qu’il faut absolument pour ne pas mourir de faim ». — Quant au petit propriétaire, au villageois qui laboure lui-même son propre champ, sa condition n’est guère meilleure. « L’agriculture[2], telle que l’exercent nos paysans, est une véritable galère ; ils périssent par milliers dès l’enfance, et, dans l’adolescence, ils cherchent à se placer partout ailleurs qu’où ils devraient être. » En 1783, dans toute la plaine du Toulousain, ils ne mangent que du maïs, de la mixture, de menus grains, très peu de blé ; pendant la moitié de l’année, ceux des montagnes vivent de châtaignes, la pomme de terre est à peine connue, et, selon Arthur Young, sur cent paysans, quatre-vingt-dix-neuf refuseraient d’en manger. D’après les rapports des intendants, le fond de la nourriture en Normandie est l’avoine, dans

  1. Turgot (Collection des Économistes), I, 544, 549.
  2. Marquis de Mirabeau, Traité de la population, 83.