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LE PEUPLE


et sans un sou de trop : en premier lieu, l’intérêt du Capital primitif qu’il a mis dans son exploitation, bestiaux, meubles, outils, instruments aratoires ; en second lieu, l’entretien annuel de ce même capital, qui dépérit par la durée et par l’usage ; en troisième lieu, les avances qu’il a faites dans l’année courante, semences, salaires des ouvriers, nourriture des animaux et des hommes ; en dernier lieu, la compensation qui lui est due pour ses risques et ses pertes. Voilà une créance privilégiée qu’il faut solder au préalable, avant toutes les autres, avant celle du seigneur, avant celle du décimateur, avant celle du roi lui-même ; car elle est la créance de la terre[1]. C’est seulement après l’avoir remboursée qu’on peut toucher au reste, qui est le bénéfice véritable, le produit net. Or, dans l’état où est l’agriculture, le décimateur et le roi prennent la moitié de ce produit net si la terre est grande, et ils le prennent tout entier si la terre est petite[2]. Telle grosse ferme de Picardie, qui vaut 3600 livres au propriétaire, paye 1800 livres au roi et 1311 livres au décimateur ; telle autre, dans le Soissonnais, louée 4500 livres, paye 2200 livres d’impôt et plus de 1000 écus de dîme. Une métairie moyenne près de Nevers donne 138 livres au Trésor, 121 à l’Église, et 114 au propriétaire. Dans une autre, en Poitou, le fisc prend 348 livres, et le proprié-

  1. Collection des Économistes, II, 832 (Tableau économique par Beaudau).
  2. Éphémérides du citoyen, IX, 15 (article de M. de Butret, 1767).