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LE PEUPLE


« ter même lorsqu’il a son argent dans son coffre[1]. » Tout compte fait, il a calculé que la procédure, même coûteuse, lui coûtera moins qu’une surtaxe, et, de deux maux, il choisit le moindre. Contre le collecteur et le receveur il n’a qu’une ressource, sa pauvreté simulée ou réelle, involontaire ou volontaire. « Tout taillable, dit encore l’assemblée provinciale du Berry, redoute de montrer ses facultés ; il s’en refuse l’usage dans ses meubles, dans ses vêtements, dans sa nourriture et dans tout ce qui est soumis à la vue d’autrui. » — M. de Choiseul-Gouffier[2] voulant faire à ses frais couvrir de tuiles les maisons de ses paysans exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa bonté et le prièrent de laisser leurs maisons comme elles étaient, disant que, si elles étaient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdélégués augmenteraient leurs tailles. » — « On travaille, mais c’est pour satisfaire les premiers besoins… La crainte de payer un écu de plus fait négliger au commun des hommes un profit qui serait quadruple[3]. » — « De là, de pauvres bestiaux, de misérables outils et des fumiers mal tenus, même chez ceux qui en pourraient avoir d’autres[4]. » — « Si je gagnais davantage, disait un paysan, ce serait pour le collecteur. » La spoliation annuelle et illimitée « leur ôte jusqu’au désir de l’ai-

  1. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de Berry (1778), I, 72.
  2. Chamfort, 93.
  3. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de Berry, I, 77.
  4. Arthur Young, II, 205.