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L’ANCIEN RÉGIME


« sance ». La plupart, pusillanimes, défiants, engourdis, avilis », « peu différents des anciens serfs[1] », ressemblent aux fellahs d’Égypte, aux laboureurs de l’Indoustan. En effet, par l’arbitraire et l’énormité de sa créance, le fisc rend toute possession précaire, toute acquisition vaine, toute épargne dérisoire ; de fait, ils n’ont à eux que ce qu’ils peuvent lui dérober.

V

En tout pays, le fisc a deux mains, l’une apparente, qui directement fouille dans le coffre des contribuables, l’autre qui se dissimule et emploie la main d’un intermédiaire, pour ne pas se donner l’odieux d’une nouvelle extorsion. Ici, nulle précaution de ce genre ; la seconde griffe est aussi visible que la première ; d’après sa structure et d’après les plaintes, je serais presque tenté de croire qu’elle est plus blessante. — D’abord, La gabelle, les aides et les traites sont affermées, vendues chaque année à des adjudicataires qui, par métier, songent à tirer le plus d’argent possible de leur marché. Vis-à-vis du contribuable, ils ne sont pas des administrateurs, mais des exploitants ; ils l’ont acheté. Il est à eux dans les termes de leur contrat ; ils vont lui faire suer non seulement leurs avances et les intérêts de leurs avances, mais encore tout ce qu’ils pourront de bénéfices. Cela suffit pour indiquer de quelle façon les

  1. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de la généralité de Rouen (1787), 271.