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L’ANCIEN RÉGIME


ment et sans lever les yeux, il tire sa charrue héréditaire. En 1751, d’Argenson écrivait sur son journal : « Rien ne les pique aujourd’hui des nouvelles de la cour ; ils ignorent le règne… La distance devient chaque jour plus grande de la capitale à la province… On ignore ici les événements les plus marqués qui nous ont le plus frappés à Paris… Les habitants de la campagne ne sont plus que de pauvres esclaves, des bêtes de trait attachées à un joug, qui marchent comme on les fouette, qui ne se soucient et ne s’embarrassent de rien, pourvu qu’ils mangent et dorment leurs heures[1]. » Ils ne se plaignent pas, « ils ne songent pas même à se plaindre[2] » ; leurs maux leur semblent une chose de nature, comme l’hiver ou la grêle. Leur pensée, comme leur agriculture, est encore du moyen âge. — En Toulousain[3], pour découvrir l’auteur d’un vol, pour guérir un homme ou une bête malade, on a recours au sorcier, qui devine au moyen d’un crible. Le campagnard croit de tout son cœur aux revenants, et, la nuit de la Toussaint, il met le couvert pour les morts. — En Auvergne, au commencement de la Révolution, une fièvre contagieuse s’étant déclarée, il est clair que M. de Montlosier, sorcier avéré, en est la cause, et deux cents hommes se mettent en marche pour démolir sa maison. Aussi bien leur religion est de niveau : « Leurs prêtres boivent avec eux et leur ven-

  1. Marquis d’Argenson, VI. 425 (16 juin 1751).
  2. Comte de Montlosier, I, 102, 146.
  3. Théron de Montaugé, 102.