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LE PEUPLE


« dent l’absolution. Tous les dimanches, aux prônes, il se crie des lieutenances et des sous-lieutenances (de saints) : à tant la lieutenance de saint Pierre ! — Si le paysan tarde à mettre le prix, vite un éloge de saint Pierre, et mes paysans de monter à l’envi[1]. » — À ces cerveaux tout primitifs, vides d’idées et peuplés d’images, il faut des idoles sur la terre comme dans le ciel. « Je ne doutais nullement, dit Rétif de la Bretonne[2], que le roi ne pût légalement obliger tout homme à me donner sa femme ou sa fille, et tout mon village (Sacy en Bourgogne) pensait comme moi. » Il n’y a pas de place en de pareilles têtes pour les conceptions abstraites, pour la notion de l’ordre social ; ils le subissent, rien de plus. « La grosse masse du peuple, écrit Gouverneur Morris en 1789[3], n’a pour religion que ses prêtres, pour loi que ses supérieurs, pour morale que son intérêt ; voilà les créatures qui, menées par des curés ivres, sont maintenant sur le grand chemin de la liberté ; et le premier usage qu’elles en font, c’est de s’insurger de toutes parts parce qu’il y a disette. »

Comment pourrait-il en être autrement ? Avant de prendre racine dans leur cervelle, toute idée doit devenir une légende, aussi absurde que simple, appropriée à leur expérience, à leurs facultés, à leurs craintes, à leurs espérances. Une fois plantée dans cette terre

  1. Tableaux de la Révolution, par Schmidt, II, 7 (Rapport de l’agent Perrière, qui a habité l’Auvergne).
  2. Monsieur Nicolas, I, 448.
  3. Gouverneur Morris, II, 69 (29 avril 1789).