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LE PEUPLE


de la Bastille, des dépenses et des plaisirs de la cour, un roman immonde et horrible, où Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, le comte d’Artois, Mme de Lamballe, les Polignac, les traitants, les seigneurs, les grandes dames, sont des vampires et des goules. J’en ai vu plusieurs rédactions dans les pamphlets du temps, dans les gravures secrètes, dans les estampes et dans les enluminures populaires, celles-ci les plus efficaces de toutes, car elles parlent aux yeux. Cela dépasse l’histoire de Mandrin ou de Cartouche, et cela convient justement à des hommes qui pour littérature ont la complainte de Cartouche et de Mandrin.

II

Jugez par là de leur intelligence politique. Tous les objets leur apparaissent sous un jour faux ; on dirait des enfants qui, à chaque tournant du chemin, voient dans un arbre, dans un buisson, un spectre épouvantable. Arthur Young, visitant des sources près de Clermont, est arrêté[1], et l’on veut mettre en prison la femme qui lui a servi de guide ; plusieurs sont d’avis qu’il a été « chargé par la reine de faire miner la ville pour la faire sauter, puis d’envoyer aux galères tous les habitants qui en réchapperont ». Six jours plus tard, au delà du Puy, et malgré son passe-port, la garde bourgeoise vient à onze heures du soir le saisir au lit ; on lui dé-

  1. Arthur Young, I, 283 (13 août 1789), I, 289 (19 août 1789).