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LE PEUPLE


pour s’autoriser, ont recours à la théorie, et la théorie, pour s’appliquer, a recours aux passions. Par exemple, près de Liancourt, le duc de la Rochefoucauld avait un terrain inculte ; « dès le commencement de la Révolution[1], les pauvres de la ville déclarent que, puisqu’ils font partie de la nation, les terrains incultes, propriété de la nation, leur appartiennent », et tout de suite, « sans autre formalité », ils entrent en possession, se partagent le sol, plantent des haies et défrichent. « Ceci, dit Arthur Young, montre l’esprit général… Poussées un peu loin, les conséquences ne seraient pas petites pour la propriété dans ce royaume. » Déjà, l’année précédente, auprès de Rouen, les maraudeurs, qui abattaient et vendaient les forêts, disaient que « le peuple a le droit de prendre tout ce qui est nécessaire à ses besoins ». — On leur a prêché qu’ils sont souverains, et ils agissent en souverains. Étant donné leur état d’esprit, rien de plus naturel que leur conduite. Plusieurs millions de sauvages sont ainsi lancés par quelques milliers de parleurs, et la politique de café a pour interprète et ministre l’attroupement de la rue. D’une part la force brutale se met au service du dogme radical. D’autre part le dogme radical se met au service de la force brutale. Et voilà, dans la France dissoute, les deux seuls pouvoirs debout sur les débris du reste.

  1. Arthur Young, I, 344.