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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


taire le poursuit d’un bout à l’autre de son histoire, depuis les premiers récits bibliques jusqu’aux dernières bulles, avec une animosité et une verve implacables, en critique, en historien, en géographe, en logicien, en moraliste, contrôlant les sources, opposant les témoignages, enfonçant le ridicule, comme un pic, dans tous endroits faibles où l’instinct révolté heurte sa prison mystique, et dans tous les endroits douteux où des placages ultérieurs ont défiguré l’édifice primitif. — Mais il en respecte la première assise, et en cela les plus grands écrivains du siècle feront comme lui. Sous les religions positives qui sont fausses, il y a la religion naturelle qui est vraie. Elle est le texte authentique et simple dont les autres sont les traductions altérées et amplifiées. Ôtez les surcharges ultérieures et divergentes ; il reste l’original, et cet extrait commun, par lequel toutes les copies concordent, est le déisme. — Même opération sur les lois civiles et politiques. En France, où tant d’institutions survivent à leur utilité, où les privilèges ne sont plus justifiés par les services, où les droits se sont changés en abus, quelle architecture incohérente que celle de la vieille maison gothique ! Comme elle est mal faite pour un peuple moderne ! À quoi bon, dans un état uni et unique, tous ces compartiments féodaux qui séparent les ordres, les corporations, les provinces ? Un archevêque suzerain d’une demi-province, un chapitre propriétaire de douze mille serfs, un abbé de salon bien renté sur un monastère qu’il n’a jamais vu, un seigneur largement