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L’ANCIEN RÉGIME


s’en délivrer, d’écarter toute superstition, toute « crainte de puissances invisibles[1] ». — Alors seulement il peut fonder une morale, démêler « la loi naturelle ». Puisque le ciel est vide, nous n’avons plus besoin de la chercher dans un commandement d’en-haut. Regardons en bas sur la terre ; considérons l’homme lui-même, tel qu’il est aux yeux du naturaliste, c’est-à-dire le corps organisé, l’animal sensible, avec ses besoins, ses appétits et ses instincts. Non seulement ils sont indestructibles, mais encore ils sont légitimes. Ouvrons la prison où le préjugé les enferme ; donnons-leur l’espace et l’air libre ; qu’ils se déploient dans toute leur force, et tout sera bien. Selon Diderot[2], le mariage perpétuel est un abus ; c’est « la tyrannie de l’homme qui a converti en propriété la possession de la femme ». La pudeur comme le vêtement, est une invention et une convention[3] ; il n’y a de bonheur et de mœurs que dans les pays où la loi autorise l’instinct, à Otaïti par exemple, où le mariage dure un mois, souvent un jour, parfois un quart d’heure, où l’on se prend et l’on se quitte à volonté, où, par hospitalité, le soir, on offre ses filles et sa femme à son hôte, où le fils épouse la mère par

    « genre humain, qu’aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n’auraient jamais pu s’entendre, et auquel ils auraient attaché plus d’importance qu’à leur propre vie ? » Diderot, Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de

  1. Cf. Catéchisme universel, par Saint-Lambert, et la Loi naturelle ou Catéchisme du citoyen français, par Volney.
  2. Supplément au voyage de Bougainville.
  3. Cf. Mémoires de Mme d’Épinay, conversation avec Duclos et Saint-Lambert chez Mlle Quinault. — Rousseau, Confessions, pre-