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L’ANCIEN RÉGIME


opposer des digues nouvelles, ils ont songé à détruire les vieux restes de digues qui le gênaient encore. « Dans un gouvernement, disent Quesnay et ses disciples, le système des contre-forces est une idée funeste… Les spéculations d’après lesquelles on a imaginé le système des contrepoids sont chimériques… Que l’État comprenne bien ses devoirs, et alors qu’on le laisse libre… Il faut que l’État gouverne selon les règles de l’ordre essentiel, et, quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout-puissant. » — Aux approches de la Révolution, la même doctrine reparaît, sauf un nom remplacé par un autre, À la souveraineté du roi, le Contrat social substitue la souveraineté du peuple. Mais la seconde est encore plus absolue que la première, et, dans le couvent démocratique que Rousseau construit sur le modèle de Sparte et de Rome, l’individu n’est rien, l’État est tout.

En effet, « les clauses du contrat social se réduisent toutes à une seule[1], savoir, l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à la communauté ». Chacun se donne tout entier, « tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possède font partie ». Nulle exception ni réserve ; rien de ce qu’il était, ou de ce qu’il avait auparavant ne lui appartient plus en propre. Ce que désormais il sera et aura ne lui sera dévolu que par la délégation du corps social, propriétaire universel et maître absolu. Il faut que l’État ait tous les droits et que les particuliers n’en

  1. Rousseau, Contrat social, I, 6.