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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/101

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L’ANARCHIE SPONTANÉE


n’osent condamner les délinquants, la maréchaussée ne les arrête plus, le commandant militaire écrit « que les crimes en tout genre se multiplient et qu’il n’a aucun moyen de les faire punir ». — Dans toutes les provinces, l’insubordination est permanente et une commission provinciale dit tristement ; « Quand tous les pouvoirs sont confondus, anéantis, quand la force publique est nulle, quand tous les liens sont rompus, quand tout individu se croit affranchi de toute espèce de devoirs, quand l’autorité publique n’ose plus se montrer et que c’est un crime d’en avoir été revêtu, quel effet peut-on attendre de nos efforts pour rétablir l’ordre[1] ? » — De ce grand État démoli il reste quarante mille tas d’hommes, chacun isolé et séparé, villes, bourgades, villages, où des corps municipaux, des comités élus, des gardes nationales improvisées, tâchent de parer aux plus grands excès. — Mais ces chefs locaux sont novices, ils sont humains, ils sont timides ; nommés par acclamation, ils croient au droit populaire ; entourés d’émeutes, ils se sentent en danger. C’est pourquoi, le plus souvent, ils obéissent à la foule.

  1. Léonce de Lavergne, les Assemblées nationales, 197 (Lettre de la commission intermédiaire du Poitou, derniers mois de 1789). — Cf. Brissot (le Patriote français, août 1789). « Il existe une insubordination générale dans les provinces, parce qu’elles ne sentent plus le frein du pouvoir exécutif. Quels en étaient les ressorts ? Les intendants, les tribunaux, les soldats. Les intendants ont disparu, les tribunaux sont muets, les soldats sont contre le pouvoir exécutif et pour le peuple. La liberté n’est pas un aliment que tous les estomacs puissent digérer sans préparation. »