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L’ANARCHIE SPONTANÉE


reine a formé un complot pour creuser une mine sous l’Assemblée nationale et pour massacrer tout Paris ; plus tard, dans un village près de Clermont, il est arrêté, interrogé, parce que, manifestement, il conspire avec la reine et le comte d’Entragues pour faire sauter la ville et envoyer aux galères les habitants qui ont survécu.

Contre ces fantômes pullulants de l’imagination surexcitée, nul raisonnement, nulle expérience n’est efficace. Désormais chaque commune, chaque homme se pourvoit d’armes et se tient prêt à en faire usage. Le paysan fouille à son magot, et « trouve dix à douze francs pour acheter un fusil ». — « Dans le plus misérable village, on rencontre une milice nationale. » Dans toutes les villes, des gardes bourgeoises, des compagnies de volontaires font patrouille. Sur la réquisition des municipalités, les commandants militaires leur livrent des armes, des munitions, des équipements ; en cas de refus, on pille les arsenaux, et, de gré ou de force, 400 000 fusils passent ainsi, en six mois, aux mains du peuple[1]. Non contents de cela, il leur faut des canons. Brest en ayant exigé deux, chaque ville de Bretagne va faire de même ; l’amour-propre est en jeu et aussi le besoin de se sentir fort. — Rien ne leur manque à présent pour être maîtres.

  1. Bouillé, 108. — Archives nationales, KK. 1105. Correspondance de M. de Thiard, 20 septembre 1789 (à propos de cent fusils donnés à la ville de Saint-Brieuc). « Ils ne lui sont d’aucune utilité, mais cet amour des armes est une épidémie du moment qu’il faut laisser s’atténuer. On veut croire aux brigands et aux ennemis, et il n’y a ni l’un ni l’autre. » — 25 septembre. « La vanité seule les conduit, et l’orgueil d’avoir du canon est leur seul motif. »