Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
LA RÉVOLUTION


en jeter un dans le Doubs. D’autres vont chez le commandant, M. de Langeron, lui demandent de l’argent, et, sur son refus, arrachent leurs cocardes en criant « qu’eux aussi ils sont du Tiers-État », en d’autres termes qu’ils sont les maîtres : en conséquence, ils réclament la tête de l’intendant, M. de Caumartin, envahissent son hôtel et brisent ses meubles. Le lendemain, gens du peuple et soldats entrent dans les cafés, les couvents, les auberges, se font livrer à discrétion le vin et les vivres, puis, échauffés par la boisson, brûlent les bureaux de la régie, forcent plusieurs prisons, délivrent les contrebandiers et les déserteurs. Pour arrêter la saturnale, on imagine un grand banquet en plein air, où la garde nationale fraternisera avec toute la garnison ; mais le banquet tourne en kermesse, des compagnies restent ivres-mortes sous les tables ; d’autres emmènent avec elles quatre muids de vin et les dernières, se trouvant frustrées, se répandent hors des murs pour piller les caves des villages environnants. Le lendemain, alléchés par l’exemple, une partie de la garnison et nombre d’ouvriers recommencent la même expédition dans la campagne. À la fin, après quatre jours d’orgie, pour empêcher Besançon et sa banlieue d’être traités infiniment en pays conquis, il faut que la garde bourgeoise, jointe aux soldats fidèles, se révolte contre la révolte, aille ramasser les maraudeurs et en pende deux le soir même. — Telle est l’émeute[1],

  1. Scène analogue à Strasbourg, quelques jours après le sac de l’hôtel de ville. La municipalité ayant donné vingt sous à chaque homme de la garnison, tous les soldats abandonnent leur poste,