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L’ANARCHIE SPONTANÉE


une irruption de brute, qui, lâchée dans l’habitation humaine, ne sait que s’y gorger, gaspiller, casser, démolir, se blesser elle-même, et, lorsque nous suivons en détail l’histoire locale, nous voyons que, dans ce temps-là, on pouvait tous les jours s’attendre à un soubresaut pareil.

À Troyes[1], le 18 juillet, jour du marché, les paysans refusent d’acquitter les droits d’entrée : puisque l’octroi vient d’être supprimé à Paris, il doit l’être aussi à Troyes. Excitée par ce premier désordre, la populace s’attroupe pour se partager les grains et les armes, et le lendemain l’hôtel de ville est investi par sept ou huit mille hommes munis de pierres et de bâtons. Le surlendemain, une bande recrutée dans les villages voisins, armée de fléaux, de pelles et de fourches, entre sous la conduite d’un menuisier qui marche le sabre au poing ; par bonheur, « tout ce qu’il y a d’honnête dans la bourgeoisie » s’est formé aussitôt en garde nationale, et ce premier essai de jacquerie est réprimé. Mais l’agitation persiste, et les rumeurs fausses ne cessent de la réveiller. — Le 29 juillet, sur le bruit que cinq cents brigands sont sortis de Paris et viennent tout ravager, le tocsin sonne dans les villages et les paysans sortent en armes. Dorénavant un danger vague semble suspendu sur toutes les têtes ; il

    délivrent les détenus du Pont-Couvert, font ripaille publiquement dans la rue avec les filles qu’ils ont tirées de leur pénitencier, forcent les cabaretiers et aubergistes à livrer leurs provisions. Toutes les boutiques se ferment, et, pendant vingt-quatre heures, les officiers ne sont plus obéis (Dampmartin, I, 105).

  1. Albert Babeau, I. 187-273. — Moniteur, II, 379. (Extrait du jugement prévôtal du 27 novembre 1789.)