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LA RÉVOLUTION


sont qu’une petite élite ; la grosse masse, égoïste, ignorante, besoigneuse, ne lâche son argent que par contrainte ; il n’y a qu’un moyen de le percevoir, c’est de l’extorquer. Depuis un temps immémorial, l’impôt direct ne rentre en France que par garnison et saisies, et cela n’a rien d’étrange, puisqu’il prélève la moitié du revenu net. À présent que dans chaque village les paysans sont armés et font une bande, que le receveur vienne saisir, s’il l’ose ! — « Aussitôt après le décret sur l’égalité d’impôt, écrit la commission provinciale d’Alsace[1], le peuple a généralement refusé de rien payer, jusqu’à ce que les exempts et les privilégiés fussent inscrits sur les rôles du lieu. » En plusieurs endroits, les paysans menacent pour obtenir le remboursement de leurs acomptes ; en d’autres, ils exigent que le décret soit rétroactif et que les nouveaux contribuables payent pour toute l’année écoulée. « Aucun collecteur n’ose envoyer de contrainte ; aucune contrainte n’ose remplir sa mission. » — « Ce ne sont pas les bons bourgeois » dont on a peur, « c’est la canaille qui se fait craindre de ceux-ci » et de tout le monde ; la résistance et le désordre viennent partout « des gens qui n’ont rien à perdre ». — Non seulement ils secouent les charges, mais ils usurpent les propriétés et disent qu’étant la Nation, tout ce qui est à la Nation leur appartient. Les forêts d’Alsace sont dévastées, les seigneuriales aussi bien que les communales, et dévastées à plaisir, par un gaspillage d’enfants ou d’insensés. « En bien des endroits, pour

  1. Archives nationales, F7, 3253. (Lettre du 8 septembre 1789.)