Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
L’ANARCHIE SPONTANÉE


« s’éviter la peine d’enlever les bois, on les a brûlés et on s’est contenté d’en emporter les cendres. » — Après les décrets du 4 août, et malgré la loi qui ne permet la chasse qu’au propriétaire et sur son bien, l’impulsion est irrésistible. Tout homme qui peut se procurer un fusil[1] entre en campagne ; les moissons encore sur pied sont foulées, les capitaineries envahies, les enclos escaladés ; le roi lui-même est réveillé à Versailles par les coups de fusil tirés dans son parc. Cerfs, biches, daims, sangliers, lièvres, lapins, tués par milliers, sont cuits avec du bois volé et mangés sur place. Pendant deux mois et davantage, c’est une fusillade continue par toute la France, et, comme dans une savane américaine, tout animal vivant appartient à qui l’abat. À Choiseul, en Champagne, non seulement tous les lièvres et perdrix de la baronnie sont exterminés, mais les étangs sont pêchés ; on vient jusque dans la cour du château tirer sur le colombier et détruire les pigeons, après quoi on offre au propriétaire de lui vendre ses pigeons et son poisson dont on a de trop. — Ce sont « les patriotes » du village, avec « les contrebandiers et les mauvais sujets »

  1. Arthur Young, 30 septembre. « On dirait qu’il n’y a pas un fusil rouillé en Provence qui ne soit à l’œuvre, détruisant toute espèce d’oiseaux. Les bourres ont sifflé cinq ou six fois à mes oreilles ou sont tombées dans ma voiture. » — Beugnot, I, 141. — Archives nationales, D, XXIX, I. Lettre du chevalier d’Allonville, 8 septembre 1789 (environs de Bar-sur-Aube). « Les paysans vont en troupes armées dans les bois de l’abbaye des Trois-Fontaines, qu’ils coupent. Ils scient des chênes, les transportent sur des voitures au Pont-Saint-Dizier, où ils les vendent. En d’autres endroits, ils pêchent les étangs et rompent les chaussées. »