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LA RÉVOLUTION


un prince, second fils du roi. Pour commencer, ils tombent sur les Juifs, leurs sangsues héréditaires, mettent à sac leurs maisons, se partagent leur argent, et leur donnent la chasse comme à des bêtes fauves. Rien qu’à Bâle, on vit arriver, dit-on, douze cents de ces malheureux fugitifs avec leurs familles. — Du Juif créancier au chrétien propriétaire la distance n’est pas grande, et tout de suite elle est franchie. Remiremont n’est sauvé que par un détachement de dragons. Huit cents hommes attaquent le château d’Uberbrünn. L’abbaye de Neubourg est emportée. À Guebwiller, le 31 juillet, cinq cents paysans, sujets de l’abbaye de Murbach, fondent sur le palais de l’abbé et sur la maison des chanoines. Buffets, coffres, lits, fenêtres, miroirs, encadrements, jusqu’aux tuiles du toit et jusqu’aux gonds des croisées, tout est haché ; « sur les beaux parquets des appartements, on allume des feux et on y brûle la bibliothèque et les titres ». Le superbe carrosse de l’abbé est rompu de façon à ce que pas une roue ne demeure entière. « Le vin est répandu dans les caves ; un tonneau de 1600 mesures en laisse échapper la moitié ; l’argenterie et le linge sont emportés. » — Il est clair que la société se renverse, et qu’avec le pouvoir la propriété change de main.

Ce sont là leurs propres paroles : en Franche-Comté[1], les habitants de huit communes viennent déclarer aux Bernardins de la Grâce-Dieu et de Lieu-Croissant « qu’étant du Tiers-État, il est temps qu’ils dominent sur les

  1. Sauzay, I, 180. (Lettres des religieux, 22 et 26 juillet.)