Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
LA RÉVOLUTION


lorsqu’il réside, est volontiers humain, compatissant, et souvent même bienfaisant. À Luxeuil, l’abbé, qu’on force, la hache levée, à signer l’abandon de tous ses droits seigneuriaux sur vingt-trois terres, réside depuis quarante-six ans et n’a rendu que des services[1]. Dans le canton de Crémieu, « où les dégâts sont immenses », tous nos nobles, écrivent les officiers municipaux, étaient « patriotes et bienfaisants ». En Dauphiné, les seigneurs, magistrats, prélats, dont on saccage les châteaux, ont été les premiers à prendre en main contre les ministres la cause du peuple et des libertés publiques. En Auvergne, les paysans eux-mêmes « montrent beaucoup de répugnance d’agir ainsi contre d’aussi bons seigneurs » ; mais il le faut : tout ce qu’ils peuvent accorder au souvenir de la bienveillance qu’on leur a témoignée, c’est de ne pas incendier le château des dames de Vanes, si charitables ; mais ils brûlent tous les titres ; à trois reprises différentes, ils mettent l’homme d’affaires sur le feu, pour le contraindre à livrer une pièce qu’il n’a pas ; ils ne l’en retirent qu’à demi grillé et parce que les dames, à genoux, implorent sa grâce. De même des soldats en campagne, exécuteurs dociles d’une consigne à

  1. Lettre du comte de Courtivron, député suppléant (témoin oculaire). — Archives nationales, D, XXIX, I. Lettre des officiers municipaux de Crémieu (Dauphiné), 3 novembre. — Lettre du vicomte de Carbonnière (Auvergne), 3 août. — Arthur Young, 30 juillet (Dijon), dit à propos d’une famille noble qui s’est échappée presque nue de son château en flammes : « Ces malheureux étaient estimés de leurs voisins ; leur bonté aurait dû leur gagner l’amour des pauvres, dont le ressentiment n’était motivé par rien ».