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L’ANARCHIE SPONTANÉE


mière heure, derrière la troupe des femmes à l’Hôtel de Ville. D’autres partiront après elles, le soir et dans la nuit. D’autres attendent à Versailles. À Paris et à Versailles, beaucoup sont soudoyés : tel, en sale veste blanchâtre, fait sauter des pièces d’or et d’argent dans sa main. — Voilà la fange qui, en arrière, en avant, roule avec le fleuve populaire ; quoi qu’on fasse pour la refouler, elle s’étale et laissera sa tache à tous les degrés du débordement.

Tout d’abord, à l’Hôtel de Ville, la première troupe, quatre ou cinq cents femmes ont forcé la garde qui n’a pas voulu faire usage de ses baïonnettes. Elles se répandent dans les salles et veulent brûler les écritures, disant qu’on n’a rien fait, sinon des paperasses, depuis la Révolution[1]. Un flot d’hommes les suit, enfonce les portes, pille le magasin d’armes. Deux cent mille francs en billets de caisse sont volés ou disparaissent ; plusieurs bandits mettent le feu, d’autres pendent un abbé. L’abbé est décroché, le feu est arrêté, mais juste à temps : ce sont là les intermèdes de tout drame populaire. — Cependant, sur la place de Grève, la foule des femmes augmente, et toujours avec le même cri continu : « Du pain et à Versailles ! » — Un des vainqueurs

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 35, 44. 81. — Buchez et Roux, III, 120. (Procès-verbal de la Commune, 5 octobre.) — Journal de Paris, n° du 12 octobre. Quelques jours après, M. Pic, clerc de procureur, rapporta à un paquet de 100 000 francs, « qu’il avait sauvé des mains ennemies », et l’on retrouva un autre paquet de billets que la bagarre avait jeté dans une case à quittances.