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LA RÉVOLUTION


de la Bastille, l’huissier Maillard, se propose pour chef ; il est accepté, bat le tambour ; au sortir de Paris, il a sept ou huit mille femmes avec lui, de plus quelques centaines d’hommes, et, jusqu’à Versailles, il parvient, à force de remontrances, à maintenir un peu d’ordre dans cette cohue. — Mais c’est une cohue, partant une force brute, à la fois anarchique et despotique. D’une part, chacun, et le pire de tous, y fait ce qui lui plaît : on s’en apercevra le soir même. D’autre part, sa pesanteur massive accable toute autorité et fait fléchir toute règle : arrivée à Versailles, à l’instant même on s’en aperçoit. — Admises dans l’Assemblée, et d’abord en petit nombre, les femmes poussent à la porte, entrent en foule, remplissent les galeries, puis la salle, les hommes avec elles, armés de bâtons, de hallebardes et de piques, tout cela pêle-mêle, côte à côte avec les députés, sur leurs bancs, votant avec eux, autour du président, investi, menacé, insulté, qui, à la fin, quitte la place et dont une femme prend le fauteuil[1]. Une poissarde commande dans une galerie et, autour d’elle, une centaine de femmes crient ou se taisent à son signal, tandis qu’elle interpelle les députés et les gourmande : « Qui est-ce qui parle là-bas ? Faites taire ce bavard. Il ne s’agit pas de cela, il s’agit d’avoir du pain. Qu’on fasse parler notre petite mère Mirabeau ; nous voulons l’entendre. » — Un décret sur les subsistances

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 61, 77. 81. 148, 154. — Dumont, 181. — Mounier, Exposé justificatif et notamment Faits relatifs à la dernière insurrection.