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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/191

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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« tableau… Je rendais tous les sentiments, mais non pas toujours avec les mêmes expressions. De leurs cris, je faisais des mots ; de leurs gestes furieux, des attitudes ; or, lorsque je ne pouvais inspirer de l’estime, je tachais de donner des émotions. »

À ce mal, point de remède ; car, outre le manque de discipline, il y a une cause de désordre intime et profonde. Tous ces gens-là sont trop sensibles. Ce sont des Français et des Français du dix-huitième siècle, élevés dans les aménités de la plus exquise politesse, accoutumés aux procédés obligeants, aux prévenances continues, aux complaisances mutuelles, si pénétrés par le sentiment du savoir-vivre que leur conversation semblait presque fade à des étrangers[1]. — Et tout ; d’un coup les voilà transportés sur le terrain épineux des affaires, parmi les débats injurieux, les contradictions à bout portant, les dénonciations haineuses, les diffamations prolongées, les invectives ouvertes, dans ce combat à toutes armes qui compose la vie parlementaire et où des vétérans endurcis ont peine à garder leur sang-froid. Jugez de l’effet sur des nerfs novices et délicats, sur des gens du monde, habitués aux ménagements et aux douceurs de l’urbanité universelle. Ils sont tout de suite

  1. Arthur Young, I, 46. « Châtiée, élégante, polie, insignifiante, la masse des idées échangées n’a le pouvoir ni d’offenser ni d’instruire. Toute vigueur de pensée doit s’effacer dans l’expression… Là où le caractère est si effacé, il y a peu de place ci pour la discussion. » — Cabinet des Estampes. Estampes du temps par Moreau, Prieur, Monnet, représentant l’ouverture des États Généraux. Toutes les figures sont gracieuses, élégantes et gentilles.


  la révolution. i.
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